Interview d’Eugénie Briot, France

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Ce soir dans Le Salon Parfumé nous échangeons avec une maître de conférences française, Eugénie Briot. J’ai lu avec plaisir ses articles sur le parfum et j’ai pensé que vous aimeriez peut-être les découvrir aussi. Passons quelques instants à la rencontre de cette personnalité du monde du parfum, diplômée d’un doctorat consacré à l’histoire des techniques de la parfumerie.

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Eugénie Briot

Bienvenue Eugénie. Pourriez-vous nous dire quel a été votre premier parfum?

Mon premier parfum a été Diorissimo. J’ai d’abord porté Anais Anais, que j’aimais beaucoup (et que j’aime toujours ! Il est parcouru pour moi de merveilleux souvenirs pleins de la légèreté de la jeunesse), mais ce parfum était explicitement destiné aux adolescentes, et il a plus joué pour moi le rôle d’une introduction au plaisir de porter des parfums, d’un délicieux passage, que d’un choix réel.

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Diorissimo est l’histoire d’amour olfactive de ma vie. C’est un parfum fait pour fleurir le froid glacial d’une nuit d’hiver, par surprise, comme un miracle. Je pense souvent à Edmond Roudnitska, et je lui voue une reconnaissance infinie d’avoir fait à notre monde la grâce de cette petite vallée riante où s’égaye le muguet. Je ne sais pas si vous connaissez le poème d’Arthur Rimbaud intitulé « Le Dormeur du Val » ? Il est à la fois d’une immense gaité et de la plus terrible gravité. Diorissimo, c’est de la poésie en flacon. Ou plutôt l’était-ce, devrais-je dire, puisque Diorissimo a été, de façon désespérante, reformulé en une insipide odeur de bain moussant. Je l’ai ressenti comme une peine sincère.

Que portiez-vous dans les années 1980 et 1990?

Au début des années 1980, Mustela Bébé, principalement.

Achetez-vous des parfums pour vous-même?

Oui, mais je ne m’achète pas beaucoup de parfums, car j’ai vraiment besoin de les sentir des dizaines de fois, dans des tas de contextes différents, pour être sûre que je les aimerai toujours.

Votre compagnon en achète-t-il pour vous?

Oui, aussi risqué que cela puisse paraître, il le fait ! Et il parvient à faire de bons choix, ce qui n’a rien de facile.

Quelles sont vos préferences en matière de parfums, ou les notes que vous aimez particulièrement?

J’aime beaucoup les fleurs blanches (Diorissimo, Un Lys, Fleur d’oranger), l’iris (Hiris, Bois farine), les notes boisées (Féminité du Bois), ou ambrées (Chergui, Parfum sacré, Myrrhe ardente).

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Quel a été votre parcours professionnel? Vous avez publié de nombreux articles sur le parfum – parlez-nous s’il-vous-plaît de cette recherche.

J’ai commencé mes recherches sur la parfumerie dans la littérature. Plus précisément, je travaillais sur le parfum et les odeurs dans la littérature française et britannique de la fin du XIXe siècle, et à l’occasion de cette recherche, j’ai réalisé que les représentations du parfumeur avaient beaucoup changé à cette époque.

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Début du XIXe siècle
Au début du XIXe siècle, César Birotteau (un personnage d’Honoré de Balzac) est un marchand de parfums, plus soucieux de vendre ses produits que de faire oeuvre artistique.
Fin du XIXe siècle
A la fin du siècle, on rencontre chez Huÿsmans un personnage comme Jean des Esseintes, qui est un esthète de l’odorat, un artiste compositeur de parfums.

J’ai eu envie de comprendre les raisons de cette évolution, et je me suis rendu compte que la clé du phénomène était technique : si l’art de la parfumerie émerge à la fin du XIXe siècle, c’est parce que la palette du parfumeur s’élargit à cette époque, grâce à de nouvelles matières premières, notamment synthétiques. J’ai donc consacré mon doctorat à l’histoire des techniques de la parfumerie au XIXe siècle, qui voient l’émergence de la parfumerie en tant que produit de luxe, au sens actuel du terme.

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Mes recherches se situent au croisement de l’histoire et du marketing. Je suis maintenant maître de conférences à l’université Paris- Est – Marne-la-Vallée, où j’enseigne l’histoire des entreprises du secteur du luxe, et le marketing des produits de luxe. J’ai beaucoup de chance, c’est un poste sur-mesure!

Une expérience parfumée?

Quand j’étais très petite, sans doute vers l’âge de deux ans, je me souviens que je demandais souvent à ma Maman, lorsqu’elle me couchait, de déposer sur mon oreiller un coton imbibé de ma lotion pour bébé, dont j’adorais l’odeur, pour que je puisse bien dormir et faire de beaux rêves. Elle l’a toujours fait. Et cela a sans doute décidé du reste de toute ma vie !

Que portez-vous au travail?

En tant que maître de conférences à l’université, j’évolue la plupart du temps dans des espaces relativement vastes, et je pourrais me permettre de porter des parfums assez opulents, sans pour autant me sentir envahissante. Pourtant dans un contexte professionnel je préfère porter des parfums plutôt discrets, et je me fais le plaisir de porter ceux d’entre eux qui ont le plus de caractère pour travailler chez moi.

Que diriez-vous de l’amour? Si cela ne vous dérange pas d’en parler ? Qu’est-ce que l’amour?

Quand ma grand-mère était très âgée, j’ai souvent essayé de mémoriser son odeur et la douceur de sa peau. Je savais que je les perdrais bientôt pour toujours. L’amour, c’est quand respirer l’odeur de quelqu’un peut vous bouleverser jusqu’aux larmes.

Un intérêt personnel – la musique, l’art?

La littérature. Comme l’a écrit Marcel Proust « La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est la littérature ». J’aime la rencontre du monde réel et du monde imaginaire, quand la vie des livres fait trembler et battre le cœur pour des héros de papier. Et quand la vie réelle s’écrit de façon aussi belle, improbable, ou drôle, que le plus parfait des romans.

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La quête du savoir. Où et comment avez-vous gagné votre savoir? En termes d’expérience et d’institutions.

J’ai la chance d’avoir toujours aimé apprendre, et d’avoir eu la possibilité de choisir de travailler sur un sujet que j’aimais. J’ai commencé à m’intéresser aux parfums vers l’âge de 11 ou 12 ans, je lisais tout ce que je pouvais trouver sur le sujet, et j’écoutais avec passion les émissions de télévision qui lui étaient consacrées. Ma mère a été merveilleuse, car je vivais dans un petit village, où il n’y avait ni grosse librairie, ni bibliothèque, et elle m’aurait emmenée au bout du monde pour que je trouve les livres qui m’intéressaient.

Ensuite j’ai étudié en classe préparatoire, en hypokhâgne et en khâgne, au Lycée Henri IV à Paris. J’ai échoué au concours de l’Ecole Normale Supérieure, mais j’ai obtenu ma licence la même année, à l’université Paris IV-Sorbonne. Pour passer ma Maîtrise je devais choisir un sujet auquel consacrer mon mémoire, et j’ai choisi le parfum. C’est ainsi que mes recherches ont commencé, et à l’origine elles étaient ancrées en littérature.

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Pensez-vous que la parfumerie soit de l’art, de l’artisanat, une pensée et sa mise en fabrication, de l’architecture moléculaire ou quoi que ce soit d’autre ?

Le parfum peut tout à la fois relever de l’architecture moléculaire, que je considère comme un art, et de l’industrie dans ses manifestations les plus commerciales. Il n’existe pas de limites clairement définies entre ces deux expressions d’un même phénomène. Un parfum de niche peut s’avérer décevant, et un parfum commercial révéler une créativité inattendue. C’est ce qui rend cet art aussi intéressant.

Quel est le but du parfum?

Le parfum a pour objet de communiquer une émotion, tout comme la musique, les couleurs, les sourires. C’est une création humaine qui sublime la nature, comme l’art de l’ikebana au Japon, ou celui du jardin à la française. Parce qu’il est fugace, le parfum est aussi l’art de transformer en un instant de pure beauté le flétrissement du temps qui passe. Pour toutes ces raisons, un beau parfum est la promesse toujours renouvelée d’un bonheur à jamais insaisissable.

Choisissez une personne dans le monde du parfum et parlez-nous de cette personne.

Alain Corbin

Alain Corbin, Le Miasme et la Jonquille; historian and author of The Foul and the Fragrant

Alain Corbin et Annick Le Guérer sont les deux dieux de mon Panthéon de la parfumerie ! Ils ont ouvert la voie à la recherche académique sur le parfum et je leur dois à tous deux énormément. Ils ont certainement déterminé ma passion pour le parfum et leur exemple m’a beaucoup encouragée dans mon choix de consacrer à mon tour mes recherches à ce sujet.

Catherine Bru

Catherine Bru, IFF

En ce qui concerne le monde de l’industrie de la parfumerie, Catherine Bru (IFF) et Judith Gross (IFF), avec qui j’ai eu la chance de travailler pendant un an quand j’ai commencé ma vie professionnelle chez IFF demeurent des personnalités dont l’énergie, l’implication et la passion pour le parfum continuent à m’inspirer et à me motiver, plus de dix ans après cette belle expérience.

Un grand merci pour votre disponibilité Eugénie. Nous avons été très heureux de vous recevoir et avons hâte de recevoir d’autres lignes de vous.

En savoir plus:

Le parfumeur millionnaire, notable et industriel parisien du XIXe siècle
Eugénie Briot
Revue d’Histoire du XIXe siècle, 2007, n° 34, 129-145

De l’Eau Impériale aux Violettes du Czar : Le jeu social des élégances olfactives dans le Paris du XIXe siècle
Eugénie Briot
Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, 2008, n° 55-1,28-49.

“Vendre en quantité” ou “Vendre cher” ? : la parfumerie parisienne au XIXe siècle, fabrique d’une industrie de luxe
Eugénie Briot
Pensée et pratique du management en France : inventaire et perspectives XIXe-XXIe siècles, 2012.

Anglais:

From Industry to Luxury : French perfume in the nineteenth century
Eugénie Briot
Business History Review, 2011, Vol. 85, issue 4, 273-294

Fashion Sprayed To Displayed – The Market For Perfumery in Nineteeth-Century Paris
Eugénie Briot
Presented to the Economic History Society Annual Conference 2007 – University of Exeter

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Paris in the sun. Photo: Eugénie Briot

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